Performance de sortie de résidence à la Maison bleue du domaine Howard présenté le 4 février 2023 par un frette polaire.
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Le temps passé en résidence interrompt le mouvement de la grande roue du monde. Deux semaines consacrées au processus de création où celui-ci devient sujet de création. Surgissement de l’anxiété de performance, je dois présenter quelque chose au public en sortant d’ici. Et si personne ne venait ? De quoi ais-je le plus peur, être vue ou ignorée ?
18/01/23
Peur de l’inévitable mise à nue que le vivant exige pour engendrer. Après tout, c’est nu qu’on vient au monde. N’oublie pas que ta pratique est un lieu de transformation et de circulation.
24/01/23
Ce n’est rien de ce que j’avais prévu. Je me sens saturée, asséchée, immergée tout à la fois. Le processus me traverse, je résiste, tente de le compartimenter en projets et démarches.
25/01/23
La performance n’est pas un spectacle ni l’artiste un divertissement. Mon travail exige en engagement complet. Du corps, de l’attention avec de multiples allers-retours entre la surface (l’œuvre) et le processus (ce qui est vivant en moi). Supporter cet état de non-savoir, anxiété générée par le réflexe de vouloir produire, plaire, divertir, stimuler, susciter.
27/01/23
MATIÈRECORPS, MATIÈREOBJET. La faille dans mon plexus solaire reliée aux bras, aux mains. Besoin de manipuler la matière. L’image ne suffit plus, me réapproprier le reflet.
29/01/23
Pourquoi étaler ta quête sur l’espace public ?
31/01/23
Une sortie de résidence pour présenter l’échafaudage d’une expo, mais surtout, pour apparaître ailleurs que dans le reflet de ton regard.
02/02/23
Comment prendre soin du vivant en moi et en l’autre tout en portant mon processus à complétion ? Présence à moi. Sensation de chiffonnement et déchirement dans le plexus solaire. Dans cette faille réside tous les regards en biais, les indifférences, les non-merci je ne suis pas intéressée, les mains vides.
04/02/23
LA performance est faite ! J'ai librement interprété le conte La maison des pères, extrait du manuscrit sur lequel je travaille. Pour descendre à la rencontre de l'âtre de la maison, j'ai brisé le reflet. J'ai brisé le reflet. J'ai brisé le reflet.
07/02/23
Le performatif continu à travailler. Dans l'atelier, j'ai étendu les fragments de miroir sur le plancher et l'ai recouvert d'un feuil. Ça fait deux nuits que je veille le mort. Comme si étendu à côté de moi reposait un corps démembré.
10/02/23
Une question se présente ce matin : maintenant que le reflet est brisé, comment me relier au monde ? À partir de où ?
la maison des pères. le lieu se résume à une pièce sans porte ni fenêtre. plancher en miroir, quatre murs en miroir, plafond en miroir. l’ampoule suspendue, sans fixture ni luminaire, dégage une lumière blanche qui imite la révolution solaire. dans le coin gauche de la pièce, un monticule de tibias
crânes
fémurs
côtes
clavicules
bassins
humérus
mandibules
omoplates
vertèbres
rotules
phalanges
difficile d’attribuer un âge à la silhouette enfermée dans cette pièces depuis aussi longtemps que les reflets s’en souviennent. autrefois d’apparence juvénile; poitrine menu, silhouette filiforme, cheveux courts, les reflets ont dévorés ses traits depuis belle lurette ne laissant d’elle une ombre sans nom.
un soir de crépuscule artificiel, le regard vague de la jeune femme capte la lumière d’une nature nouvelle, chatoiement doré sur une cage thoracique dans l’amoncellement d’os. la lueur réchauffe son plexus, éveille ses membres engourdis par l’oubli. la jeune femme se déplace à quatre pattes pour éviter de réveiller le reflet du plancher et saisie la cage. le chatoiement se déplace sur un fémur. puis un humérus. puis une omoplate et ainsi jusqu’à ce que, un à un, elle ait tassé tous les os sous lesquelles apparaissent dans l’encoignure, une faille
craque
fissure
fente
d’où s’échappe lumière et chaleur que la jeune femme éprouve d’un de son index. l’arrête du miroir fend son doigt qu’elle porte prestement à sa bouche. une goutte de sang tombe sur sa cuisse où enfin elle pose le regard. sa propre chair. charnue. chair irriguée de sang, drainée par la lymphe. chair ronde et chaude morphologie d’aspérités, de creux, de plis, de renflements. dans sa bouche, le goût métallique éveille une faim d’abord ancienne puis un appétit gargantuesque. avec le sacrum d’un ancêtre, elle gratte la fente, le sang jaillit entre ses cuisses. affamée elle saisit un fémur, brise le plancher miroir à grand coups de bassin, révèle un escalier creusé à même la terre. sous ses pieds, la fraîcheur diffère de la surface lisse des miroirs. ce sol est dense et poreux. elle descend à la rencontre des flammes dont l’ombre vacille sur le mur de fondation en pierres. au fil de la descente en colimaçon, les saignements cessent, son ventre ses hanches s’arrondissent, ses cheveux allongent. devant l’âtre de la maison une vieille femme caresse la tête noire d’un loup. tous deux se retournent vers celle venue du monde du dessus. la vieille n’est ni grande ni petite. sa peau est ridée, mais sa posture vive. son regard pétillant est entouré d’une chevelure blanche comme son châle.
- qui es-tu mon enfant ?
- je ne suis ni Annie Ernaux ni Mariette Raina, ni Alex-Ann Boucher ni Nathalie Plaat ni Anaïs Barbeau Lavalette ni Virginie DeChamplain ni Sheila Heti.
- qui es-tu mon enfant ?
- fille de Marcel Renaud et Anne Socquet.
- qui es-tu mon enfant ?
- le reflet des miroirs.
- qui es-tu mon enfant ?
- celle qui écrit un livre.
- qui es-tu mon enfant ?
- celle qui n’a pas eu d’enfant, celle qui s’est fait avortée, celle qui a peur, celle qui se croit libre.
- qui es-tu mon enfant ?
- celle qui étudie en art visuel, celle qui se sait une artiste.
- qui es-tu mon enfant ?
- celle qui n’existe pas.
- bienvenue parmi nous.
- la vieille revêt la voyageuse d’une grande robe chaude, lui tend un bol de soupe fumante.
- maintenant mange mon enfant.
la femme s’assoit sur la souche à droite de la vieille tandis que le loup, alerte, se place à la gauche de celle-ci. le feu se consume bien. réchauffe sans brûler. le crépitement des flammes et la présence des deux inconnus à quelque chose de rassurant. elle mange en silence.
- que fais-tu ici mon enfant ?
- je ne me savais pas enfermée, me croyais multiple. j’ai perçu une lueur sur un os et sous un tas d’ossements une faille. en la touchant j’ai saigné puis j’ai eu très faim. cet appétit a transformé en passage. j’ai suivi la danse des flammes dans une descente qui m’a conduite ici.