De lui à lui
Je sais. Ne jamais s’abaisser aux pieds d’une femme. Elle te dévorerait, me disais-tu. Tu avais raison ! Lorsqu’elle arrive, je tremble. Si je ne retenais pas, je bêlerais d’excitation. Et de peur. Peur de ta voix désapprobatrice qui résonne chaque fois que j’offre mon cou à sa morsure passionnée. J’aimerais qu’elle me dévore pour me répandre dans son foie et sa lymphe.
Soit fier mon garçon, tu es un homme. Pauvre papa. Toi qui a dû travailler à l’usine pour subvenir aux besoins de tes dix enfants. Toi si fier que maman reste à la maison, alors qu’elle aurait tant voulu être maîtresse d’école. Mais ça ne se faisait pas dans ce temps-là. Le quartier aurait murmuré que le bonhomme n’était pas capable de pourvoir aux besoins de sa famille. Que sa femme devait lui venir en aide.
Si tu savais comme c’est bon de s’abandonner à des bras protecteurs. S’offrir dénudés de l’armure dont nous ont revêtus les pères de nos pères de nos pères. C’est dans cet abandon que réside la vraie force papa.
De elle à lui
Qu’est-ce que je n’entends pas le jour que mes yeux hurlent aux rayons de lune ? Le paysage d’une aveuglante clarté poignarde la pénombre de sa lame de soie. Le sang de l’obscurité s’écoule de ma poitrine, condamnant mes yeux à une omniprésente lumière. Nulle part où se tapir.
Au zénith de la nuit, je rencontre une forme pointue, mon père. Son ombre immense secoue un enfant fragile comme le verre. Lui-même. Épave échouée sur le comptoir liminal d’une taverne réservée aux hommes. Aux vrais. À ceux qui boivent pour empoisonner la fleur d’une menaçante douceur à laquelle ils ne peuvent aspirer. Épuisé il m’entretient des tâches fonctionnelles à accomplir, des comptes en banque à gérer, des successions à assurer. Ses yeux aux cernes creux comme les tranchées de Passchendaele me lèguent une vision hiérarchisée du monde. Malgré un corps de collines, j’ai hérité de la prétention des pères, camouflage d’une sensibilité de jardinier jamais assumée.
Douceur
Vulnérabilité
Réconfort
Sont des eaux dans lesquels mes pères n’ont jamais trempé leur esprit harnachés des cadenas patriarcaux. Ceux-là mêmes qui ont verrouillé les femmes à leur ventre. De la même façon que j’ai refusé les chaînes de la maternité, je régénère l’autre polarité de mon être. Mais quel masculin invoquer si ce n’est celui des pères condamnés à la productivité, à la dureté, au rôle pourvoyeur. Comment régénérer cette figure masculine sinon dans la douceur de rêves paisibles ?
Concept : Jessica Renaud
Photographie : Robert Savard
Montage photo : Jessica Renaud
Performance : David Cocquart et Jessica Renaud
Arrangements musicaux: David Cocquart
Voix:David Cocquart et Jessica Renaud
Textes : Jessica Renaud