Quelle fierté j’ai éprouvée de montrer à ma mère ma petite culotte de coton tâchée de sang rouge clair. Quelques jours auparavant, j’avais échangé mon premier frenchavec un camarade de classe sous un érable aux bourgeons gonflés de sève. Et ce matin mes règles. J’étais désormais une femme !
Pour célébrer l’évènement, ma mère et moi avons fait une virée au marché Jean-Talon. Nous sommes allés manger une pizza chez Napolitena puis avons fainéanté à la quincaillerie Dante avant de nous arrêter à la pâtisserie Alati Caserta acheter mes biscuits italiens préférés, ceux en forme de rosettes remplies de pâte d’amande. Je marchais la tête haute, le cœur fier. L’étal des légumes, les beaux Italiens, la chaleur précoce d’avril, tout s’offrait à moi. Le monde m’appartenait.
Au fil des ans, j’ai appris que pour beaucoup de jeunes filles, l’apparition des règles était vécue dans la peur, le dégoût ou la honte. À évoluer dans un univers qui méprise la nature sauvage, j’en suis moi-même venue à voir les règles comme une malédiction et ma condition de femme comme le résultat d’un mauvais karma. Il m’a fallu quitter la grande ville, passer beaucoup de temps en intimité avec la nature et côtoyer des femmes inspirantes pour pouvoir à nouveau célébrer ma nature de femme à travers toutes les phases de son cycle.
Les femmes saignent tous les mois, de l’adolescence à la ménopause. C’est sans équivoque ! Par contre nous avons le choix suivant : subir nos règles comme une damnation ou vivre ce temps du mois comme une initiation et une régénération.
Mais pourquoi avons-nous honte d’être menstruées ? Comme si le sang qui s’écoulait de nos corps fertiles était malpropre ou maléfique. Mais d’abord, que sont les menstruations ?
Le mot provient du latin mensis, ce qui signifie mois, et est apparenté au mot grec mene, lune. Les menstruations marquent donc un rythme. Le rythme de la vie dont la mort est indissociable. Comme nous l’avons vu dans un article précédent, le cycle hormonal de la femme est d’une durée moyenne de 29.5 jours, idem au cycle lunaire.
Pendant des millénaires, l’homme a calculé le temps en observant les révolutions de l’astre nocturne. Cela fait à peine six siècles que le calendrier grégorien, basé sur la révolution solaire, a pris le pas sur le calendrier lunaire. Mais l’usage de ce dernier est encore en vigueur de nos jours dans plusieurs traditions afin de déterminer les fêtes et les festivals religieux : le Ramadan des islamistes, la Pâques des chrétiens, le Nouvel An de plusieurs pays d’Asie, le Vesak des bouddhistes et de nombreux autres.
Il est intéressant de suivre son cycle menstruel en le comparant aux phases de la lune afin de constater l’influence de l’astre nocturne sur notre corps.
Entrer en intimité avec son cycle menstruel nous permet de nous connecter intimement à la nature et plus spécifiquement au cycle des saisons. La préovulation ressemble à la fin de l’hiver et au début du printemps : la Terre s’éveille et se réchauffe au contact prolongé des rayons du soleil, les ruisseaux s’esclaffent, la sève circule à nouveau dans les troncs érigés. L’ovulation correspond au printemps mature et au début de l’été : la nature est fertile, les abeilles pollinisent les fleurs, les oiseaux font leur nid, les asperges sortent fièrement du sol. La période prémenstruelle correspondent à l’automne : les fleurs donnent leurs graines, les feuillent ternissent, les épis de maïs sont récoltés, la lumière diminue. Les menstruations sont semblables à l’hiver lorsque le sol se régénère, les animaux hibernent, la lumière est à son plus bas, les arbres se reposent, la nature est silencieuse et introspective.
En comparant notre cycle intime à celui des saisons et de la lune nous tirons sagesse de la terre et des astres. Nous apprenons à nous reposer lorsque le corps le demande et à célébrer lorsque la vie et la créativité jaillissent.
Pour celles qui sont intéressées à expérimenter avec le cycle de la lune je vous suggère le calendrier We’Moon : https://wemoon.ws.
Vous pouvez également imprimer des chartes de lune afin de créer votre propre calendrier lunaire : http://www.moonmysteries.com/moon-cycle-chart.html
La femme sauvage
« La femme doit affirmer ses instincts afin de protéger son âme sauvage. »
- Nikiah Seeds
À l’antipode de l’ovulation, les menstruations sont le symbole que la non-procréation. En effet, si l’ovule n’a pas été fécondé lors de l’ovulation, l’endomètre (substance vascularisée qui tapis les parois de l’utérus) est évacué sous forme de saignements.
En occident, depuis les Grecs anciens, les femmes ont été reléguées au rôle de génitrice. La société, la famille, le mari, tous attendaient de la femme une mère et une épouse dévouée. Non seulement devait-elle doter la lignée paternelle d’héritiers mâles, mais elle devait consacrer son temps et la sueur de ses ambitions à élever et consoler les enfants, entretenir la maison ainsi que satisfaire tous les désirs de son mari : de jour comme de nuit. Virginia Woolf, écrivaine au destin tragique de la première moitié du XXe siècle, surnomma la femme assujettie, La fée du foyer. Un rôle dont elle tentait elle-même de s’affranchir.
Même si la condition de la femme a évolué depuis Aristote, il n’en reste pas moins que le rythme de vie effréné de la société actuelle comporte sa part de défi pour la femme moderne (et pour l’homme sans contredit). Les désirs de plaire au patron, de satisfaire le mari, de s’occuper des enfants, de s’entraîner pour rester ferme et belle et de cuisiner des repas sains peuvent vite reléguer les besoins personnels au bas de la liste. Est-il possible que la Wonder Woman moderne ne s’accorde pas le temps nécessaire prendre un bain au lieu de préparer le repas du soir ? De demander une journée de congé parce qu’elle a des crampes et qu’elle est d’humeur brouillonne ?
Les émotions brutes qui font irruption contre notre gré pendant notre semaine prémenstruelle sont souvent dues à de besoins ignorés. Des besoins comme rester au lit un matin de semaine ou aller marcher dans les bois sont certainement considérés contre-productifs dans une société qui carbure à la performance. En nous écoutant peut-être avons-nous peur de passer pour des égoïstes, de blesser un amant, une consoeur de travail ou notre progéniture ? Lorsque la dentelle utérine se prépare à être évacuée, il y a simultanément une purification qui se fait un niveau émotionnel, psychique et énergétique. Ce qui a été relégué dans les profondeurs de la psyché tout au long du mois refait surface avec le sang qui s’écoule.
Photo by Stephane Desmeules
Être à l’écoute de notre cycle c’est aussi être à l’écoute de notre sagesse intérieure qui peut prendre une voix colérique, devenir irritable ou accablée de tristesse afin d’être entendue et écoutée. L’irritabilité peut signifier que nous avons consacré trop d’importance aux besoins d’autrui et pas assez aux nôtres. La colère peut être la manifestation d’une plaie qui nécessite temps et attention pour guérir. La frustration peut traduire un besoin de repos que nous remettons toujours à plus tard.
Les besoins intimes changent d’un mois et d’une saison à l’autre. Parfois nous avons besoin d’être entourées de femmes et parfois de la solitude la plus complète. Parfois une simple tisane de framboisier dégusté dans la tranquillité est suffisante et parfois un rituel avec chandelles et tambour est nécessaire.
Être en relation avec son cycle menstruel permet une meilleure écoute de nos besoins trop souvent relégués aux oubliettes.
Les menstruations sont un temps pour célébrer la femme sauvage qui n’appartient qu’à elle-même. Pendant ses règles elle n’est ni génitrice, ni épouse, ni sainte, ni fée. Contrairement à ce que j’ai longtemps cru, il n’y a aucune dichotomie à être à la fois mariée, mère de famille, citoyenne engagée et à la fois célébrer l’état brut et primal de la femme sauvage lors de sa lune rouge ou à tout autre moment du mois.
Médecine chinoise
Selon les textes classiques de médecine chinoise et de philosophie taoïste, l’esprit d’un individu est ancré dans son sang. Le sang est produit par la rate et l’estomac par l’absorption des nutriments contenus dans la nourriture pour ensuite être combinés avec l’énergie vitale des reins (jing). Le sang qui circule au rythme du Cœur, maître des organes, emmagasine les débris émotionnels, les excès de gras et de protéines. Lors des menstruations, une portion de ces débris s’écoule par le sang menstruel, fournissant aux femmes l’occasion de nettoyer à la fois leur corps et leur esprit. Travailler à éliminer consciemment ces débris (voir les pratiques suggérées plus bas) contribue à un meilleur équilibre émotionnel et à une réduction des symptômes prémenstruels ou comme certaines femmes les surnomment; symptômes prélunaire !
Par contre, comme les femmes perdent du sang tous les mois, elles peuvent être sujettes à des conditions qui affectent le sang.
Il y a deux approches pour aider à nourrir le sang : soutenir les organes digestifs afin de bien digérer et manger des aliments riches en nutriments (voir plus bas).
Paul Pitchford, dans sa bibleHealing with Whole Food,décrit les menstruations comme suit : « Lors des menstruations, les conditions émotionnelles et hormonales enfouies dans les profondeurs refont surface avec le sang pour être évacué, produisant un effet purificateur. Cet état peut provoquer une fragilité due à l’émergence des aspects yin (intérieur) ce qui nécessite une protection de l’environnement yang (extérieur), spécialement du froid, de l’humidité, d’un excès de travail physique et d’émotions fortes. Il est important de garder les jambes et les pieds au chaud, d’éviter d’avoir les mains dans l’eau froide pendant une période prolongée et de se reposer si le corps le demande. »
Alimentation
Il n’y a pas de diète magique qui convienne à toutes les femmes, car chacune est dotée d’une constitution exclusive. Mais voici quelques lignes directrices qui peuvent aider à adoucir les symptômes prélunaires :
- Éviter de manger et boire froid.
- Réduire la consommation de produits laitiers, car ceux-ci nuisent à l’absorption du magnésium.
- Éviter le sucre raffiné et la friture, car ces aliments favorisent l’humidité et la stagnation du Qi.
Après les menstruations il est approprié de consommer des protéines et des légumes verts pour reconstruire le sang. À moins de condition extrême, il est bénéfique de consommer les aliments suivants afin de reconstruire le sang : légumes feuillus (épinards, kale et bette à carde), betteraves, haricots rouges et noirs, grains entiers (avoine, riz, millet, orge, quinoa), mélasse verte, bouillon d’os, feuilles de framboisier. Dans les prochains mois, je présenterai des aliments alliés des femmes qui aident à reconstruire le sang. Je commence la série avec la betterave!
Produits hygiéniques féminins
Saviez-vous que les fabricants de produits hygiéniques féminins ne sont pas tenus d’indiquer la liste d’ingrédients que contiennent leurs produits ? Ce n’est pas étonnant puisque la majorité des produits sanitaires féminins portent des traces de chlore, de dioxines, de pesticides et de coton transgénique. En Amérique de Nord seulement, plus de 20 millions de serviettes hygiéniques et de tampons sont enfouis dans les dépotoirs chaque année.
Les produits sanitaires lavables, donc réutilisables, sont à la fois bénéfiques pour la santé comme pour l’environnement. Voici deux produits de j’utilise avec grande satisfaction depuis de nombreuses années :
https://lunapads.ca/?redirected_us
Une amie m’a suggéré l’utilisation des culottes de menstrues québécoises Girafe Bleue. Je ne les ai pas encore essayées, mais j’ai lu de très bons commentaires à leur sujet.
Rituels
Les rituels sont une occasion de nous retirer du quotidien afin de créer un espace sacré. Lorsque j’ai mes règles, je me réfugie au sous-sol pour jouer du tambour et écouter ce qui se passe à l’intérieur. Qu’est-ce que je veux évacuer avec mon sang menstruel ? Qu’est-ce que je désire manifester lors de ma prochaine ovulation ? Parfois je fais brûler une chandelle rouge pour honorer mon sang, honorer la vie. J’offre ce sang à la lune dans un vase réservé pour l’occasion puis le donne à la Terre.
Parfois je m’achète des fleurs.
Je m’infuse une potion lunaireavec un bon livre, bien confortablement installée dans le divan un mercredi après-midi (ou la journée de votre choix !)
Je me masse le ventre, le bas du dos et le sacrum à l’huile chaude pour ensuite m’envelopper dans couverture avec une bouillotte.
J’aime pratiquer le sourire intérieur lorsque j’ai des crampes ou simplement au réveil. Cette technique popularisée par Mantak Chia paraît candide, mais elle est très puissante : confortablement couchée sur le dos poser les mains chaudes sur le bas du ventre et sourire à nos organes génitaux. Lorsque la région devient chaude, emmener une main sur le cœur et inspirer du bas ventre jusqu’au cœur pour ensuite expirer du cœur au bas ventre.
Je nous invite à sortir du sous-sol de la honte et à partager l’expérience de nos premières règles. Confiez-vous à un journal, écrivez une lettre à votre adolescente intérieure, réunissez-vous avec d’autres femmes et partagez cette expérience. Si le cœur vous en dit, faites-le dans les commentaires plus bas, j’aurai plaisir à vous lire et vous répondre.
Cercle de sagesse menstruelle
Si vous êtes intéressé à organiser un cercle de sagesse menstruelle dans votre communauté n’hésitez pas à communiquer avec moi.
Bibliographie
EDLUND, Roni et MITCHELL, Damo, Daoist Nei Gong for women : the art of the lotus and the moon, London, Singing Dragon, 2016.
MAOSHING, Ni, The Yellow Emperor »s Classic of medecine : a new translation of the Neijing Suwen with commentary, Boston, Massachusetts, Shambala Publication, Inc, 1995.
PITCHFORD, Paul, Healing with Whole Food, Berkeley, California, North Atlantic Books, 2002.
ROCHAT DE LA VALLÉE, Elisabeth, The Essential Woma : Female Health and Fertility in Chinese ClassicalTtexts, Monkey Press, 2007.
SIMS, Noa et SEEDS, Nikkiah, Moon Mysteries : Reclaiming Women’s Menstrual Wisdom, Canada, 2010.
VOS, de Minke, Tao Tantric Arts for Women : cultivating sexual energy, love and spirit, Rochester, Vermont, Destiny Books, 2016.